La Nuit des rois

de Shakespeare

Synopsis

L'intrigue se déroule en Illyrie où règne le duc Orsino, amoureux de la belle et riche comtesse Olivia. Cette dernière est en deuil de son père et de son frère, et repousse ses avances.
Une tempête provoque le naufrage d'un navire venant de Messine qui transporte Viola et son jumeau Sébastien. Les deux jeunes gens survivent au naufrage mais échouent à deux endroits différents de la côte, chacun croyant qu'il a perdu son jumeau. N'étant plus sous la protection de son frère, Viola se déguise en homme et se présente à la cour d’Orsino sous le nom de Césario. Le duc lui offre de devenir son page et la charge de plaider sa cause auprès d’Olivia. Cette ambassade ne plaît guère à Viola, secrètement amoureuse du duc, mais ravit Olivia qui est immédiatement séduite par ce beau jeune homme. Arrive Sébastien dont l'extraordinaire ressemblance avec Césario trompe Olivia. Après une série de quiproquos auxquels participent un quatuor de comiques, Viola peut révéler sa véritable identité. Elle épouse le duc et Sébastien épouse Olivia.

Notes d’intention

Une bonne tranche / du pain sur la planche.

La Nuit des rois constitue pour moi l'occasion de renouer avec la comédie, la farce.
Dernière des vraies comédies de Shakespeare, elle est « la perle de la collection ». Malgré son harmonie, sa légèreté, sa brillance, La Nuit des rois est l’une des pièces de Shakespeare les plus difficiles à mettre en scène. Comment se dégager des clichés qu'instantanément évoque ce titre ?
Les costumes italiens, la danse, le chant, le travestissement, la commedia dell' arte.
Pourquoi, alors que notre société traverse un océan de boue et de violence, s’embarquer dans une pièce vue et revue ?

La réponse est simple, pour le plaisir des plaisirs : le rire.

Shakespeare s’amuse ici avec acharnement, tant des ficelles de la farce truculente, énorme, énormément ridicule, que des subtilités les plus fines de la langue et des corps. La pièce est jubilatoire.

Je sais qu'elle constitue une gageure pour chaque équipe qui s'y attaque. La comédie exige des acteurs, du metteur en scène, de l’éclairagiste, du sondier, du scénographe, une grande humilité. L’humilité de l’artisan, sa patience, sa précision, son souci du détail, du microscopique, du rythme qu’il faut fragmenter jusqu’à l’extrême. Chaque seconde compte dans la comédie, chaque regard, chaque geste. C’est pour chaque metteur en scène, même le plus averti, le défi le plus ultime car la sentence est immédiate : le rire ou l’ennui.

La nuit des rois, tout est permis / nous bouger nous mêmes.

La nuit des rois, do what you will, fais comme tu voudras.
Le titre La Nuit des rois fait référence à la douzième nuit après noël, et invoque le carnaval, les déguisements, les travestis, les blasphèmes, les chants, les injures, les plaisirs.
La fête dans ce qu’elle a de plus archaïque : faire de la folie et du chaos un rituel.
Il nous plonge dans le mythe de l’âge d’or où il n’y a ni maître, ni esclave, ni riche, ni pauvre, en nous faisant croire un instant que nous sommes égaux et libres.
Mais tout y est paradoxal.Tout y est à l’envers.
Il s'agit d'une œuvre joyeuse, où la musique joue un grand rôle, mais dont la tonalité s'avère cependant ambivalente lorsque, à l'orée de l'acte V, l'atmosphère festive cède la place à une note plus sombre : le jeu des désirs amoureux et les excès de la farce menacent en effet de provoquer un déchaînement de violence. Il faudra que l'excès soit purgé pour que l'harmonie sociale puisse être rétablie.

Pour sortir des clichés...

Pour sortir des clichés et recycler le matériau usagé de la farce pastorale il nous faut nous interroger nous-mêmes. Acteurs du théâtre : de son ordre et de son chaos, comme de l'ordre et du chaos du monde. De ses désirs, de ses passions, de ses lois. Mais aussi de l'usage qui est fait du langage.
Cette pièce interroge le théâtre, et fait dialoguer de façon vertigineuse la vérité avec l’illusion, la sagesse avec la folie, l'amour avec l'égocentrisme narcissique, l'aveuglement acharné et la percutante lucidité.
La mettre en scène suppose de nous confronter à ces paradoxes. En la traversant je veux chercher ce que cette pièce nous raconte de nous-mêmes.
Je ne voudrais cependant pas vous donner à penser que notre envie consiste juste à faire rire le public ; mon envie consiste également à « nous bouger nous-mêmes », à nous interroger nous, les acteurs.

Quels liens tisserons nous avec Viola abandonnée à son sort, rescapée d’un naufrage, orpheline de père et de frère qui se retrouve totalement seule en Illyrie, ce pays imaginaire qui se trouverait quelque part entre l’Italie et la côte Dalmate, là où aujourd’hui des milliers d’exilés fuient les combats et les persécutions ?
Que connaissons-nous du Duc Orsino, jeune, riche, pétri d’ennui, lunatique, dépressif qui subit l’amour comme on subit l'effet d'une drogue ?
Qui est Sir Toby, noyé dans l’alcool, jouisseur, libertin, hédoniste et pourtant calculateur et opportuniste ?
Que veut nous dire Feste ce bouffon magnifique qui se régale de retourner les mots comme « des gants de chevreau » et qui en retournant les choses et les pensées leur redonne sens et beauté ?
Que penser d’Olivia, miroir de Viola qui a perdu son père et son frère et se réfugie dans un deuil qu’elle veut long de sept ans et qui en rencontrant ce double en tombera immédiatement amoureuse ?
Quelle est la face cachée de Malvolio, intendant d’Olivia allergique au rire, aux chansons, à la boisson, à la légèreté, qui désire l’ordre et la discipline mais surtout son propre avancement ?

Nicolas Oton

L'auteur

« Traduire Shakespeare aujourd’hui, c'est toujours re-traduire. L’histoire le montre, une traduction se démode (parfois très vite), parce que la langue évolue et que les principes qui sous-tendent la traduction changent selon les époques. Nous avons la particularité, en tant que non-anglophones, de pouvoir/devoir traduire Shakespeare ; cette perte inévitable est aussi paradoxalement un atout, comme l’ont fait remarquer Georges Lavaudant et Peter Brook, parce qu’au fond elle permet de privilégier le rapport vivant avec le spectateur contemporain que l’on confronte dans sa propre langue – sans pour autant moderniser à outrance le texte du 16e siècle, car les traductions les plus « datées » sont celles qui se démodent le plus rapidement. Pour tenter de rendre l’ample vers shakespearien, j’ai fait ici le choix d'un vers libre souple, qui serre le texte de près, ce que le dispositif de l’édition moderne, avec texte anglais en parallèle, rend d’ailleurs souhaitable ; ce parti pris permet de restituer l'ordre des arguments en français, en respectant l'enchaînement des gestes théâtraux et, autant que possible, du flot des images. Car le texte de Shakespeare obéit de manière primordiale à une logique de théâtre et non à une logique de l’écrit, ce dont j’ai eu la confirmation en ayant la chance de travailler très tôt avec la troupe Machine Théâtre à Alès. Cette rencontre chaleureuse, à l’occasion d’une mise en bouche du texte, a été une sorte de révélation : il y avait de la magie à voir le texte shakespearien « se lever », s’incarner dans les corps et les voix par le rapport passionné, charnel, qu’entretiennent ces comédiens avec la langue ».

Line Cottegnies